Histoire d’un maillon faible …

A l’occasion de la Journée Mondiale des Premiers Secours, Catherine HUGARY, secouriste bénévole depuis 52 ans à la Protection Civile des Alpes-Maritimes nous raconte un souvenir de secourisme …

Nice, 9 heures. Je ne rate jamais ma petite promenade de santé !
Nous sommes fin juillet 2023. L’air dehors, à cette heure-ci, est respirable, la chaleur n’a pas encore l’intention de me plaquer au sol.
Un petit vent léger me permet ainsi d’arpenter agréablement les trottoirs de la ville.
Peu de monde sur l’avenue, ce matin. Ça ne va pas durer. J’aperçois, devant l’entrée d’une banque, une forme humaine allongée par terre, inerte, et, près d’elle, une personne qui l’appelle désespérément. Pas de réponse, pas de réaction. Je pense au pire. Je me dirige vers elles, convaincue d’y passer la matinée.
Pas de mouvements de ventilation, pas de pouls,…. C’est un arrêt cardio-respiratoire. Comme une automate, je me mets à genoux, je positionne mes mains. Et je masse. Je ne regarde personne, je fixe seulement le visage gris de cet homme, au travers duquel je vois un mannequin, complètement-à-réactif.
Le temps passe, les minutes s’égrènent, je masse, je rassemble mes esprits, et finit par demander à une dame, près de moi, qui vient d’appeler les secours, un défibrillateur, qui se trouve dans le grand magasin à côté. «Il n’est pas encore ouvert» me dit-elle.
«Alors, allez voir dans la pharmacie au bout de la rue!» «J’y travaille, on n’en possède pas.» Un comble! Et je masse, et je masse encore, en espérant que quelqu’un va bien se décider à me relayer. Est-ce que je vais pouvoir rester efficace jusqu’au bout?
Le temps est long, très long. Rien, ni personne ne semble vouloir m’aider. Je me sens bien seule, avec tout ce monde, silencieux, autour de moi, et auquel je tourne heureusement le dos.
Au bout d’une éternité de dix minutes, j’entends ma musique préférée du moment, la sirène des pompiers. Enfin, ils arrivent. La collègue, qui les a copieusement maudits en les attendant, se calme.
Des portes s’ouvrent, claquent. «S’il vous plait messieurs-dames, écartez-vous!»
La même voix s’approche de mon oreille, une main sur mon épaule: «monsieur, écartez-vous, s’il vous plait!» «moi, c’est madame!» Je me retire. Ce n’est pas le moment de rectifier en détail.
Le relai que j’attendais se met en action. Je n’ai plus rien à faire, uniquement à souhaiter que ce cœur reparte. Je m’éloigne donc.
Les pompiers, puis le personnel du S.A.M.U. et la police envahissent rapidement le secteur, là où j’ai tant espéré être moi-même, «envahie» par ce relai, pendant mes dix minutes de solitude active, en binôme avec mon adrénaline. Des draps entourent la zone, je ne vois plus la scène.
Alors j’attends quoi?
Une bonne nouvelle….. qui arrive enfin, au bout d’une heure, lorsque je vois un
pompier sortir le brancard de l’ambulance. L’activité cardiaque a donc repris.
OUF! Mais jusqu’à quand?
La victime est perfusée, intubée, ventilée. Les médecins l’ont fait <<revenir». C’est magnifique! Elle peut donc être transportée. Les portes arrière de l’ambulance se referment bruyamment sur elle. Le véhicule s’en va.
Je repars chez moi, en repensant à tout cela. Est-ce que je n’ai pas fait d’erreurs?
J’aurais peut-être pu, j’aurais peut-être du, C’est le moment de me remettre en question.
Il y a des gens qui donnent la vie, il y en a qui prennent la vie. Et moi, aujourd’hui, j’ai essayé de la rendre. Ce jour-là, c’était ma mission.
52 ans de secourisme dont 42 à la Protection Civile m’ont fait comprendre la valeur de cette belle chaîne qui permet, en étant au bon moment, au bon endroit, de pratiquer aussitôt LE geste (un accouchement, une désobstruction, et maintenant, un massage cardiaque )
C’est tellement simple de sauver !
Un mois et demi plus tard, je reçois un SMS: « Mon nom ne vous dira rien, mais vous êtes la personne qui m’avez sauvé. »
« Monsieur, je vous ai seulement empêché de partir. »

Catherine HUGARY